ARLES 2023
Un état de conscience
← Retour au programme des expositions
Christoph Wiesner
Directeur des Rencontres d’Arles
Tel un relevé sismographique de notre temps, chaque année les Rencontres d’Arles se font l’écho de l’état de conscience de notre monde, aussi étrange qu’il puisse paraître. Les photographes, artistes et commissaires nous donnent à voir, à percevoir, avec une extrême acuité, les transformations que nous vivons. La prise en considération – a minima – du réchauffement climatique s’est imposée à nous, impactant directement nos habitudes.
Conscient de cette nécessité et de son rôle de défricheur, le festival, en collaboration avec la Cité Anthropocène de Lyon, s’est lancé cette année dans l’exploration du territoire arlésien et de son écosystème. Scientifiques, chercheurs, penseurs et artistes sont partis à sa découverte afin d’en faire un état des lieux. Choisi comme QG de cette réflexion, Ground Control, ancienne halle industrielle de la SNCF, a été au cœur de toutes les discussions ; en résulte un dispositif de reformulation de l’espace.
L’exploration du territoire peut prendre de multiples formes. Ainsi, l’exposition Soleil Gris d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier présente un corpus territorial issu du travail au long cours Atlas des Régions Naturelles. L’enquête sur la zone industrielle, autrefois fleuron de la modernité de Tarascon, menée par Mathieu Asselin au cœur de l’exposition Ici près nous en donne une tout autre vision. Il est entouré de Tanja Engelberts explorant le Rhône et de Sheng-Wen Lo jouant les arpenteurs camarguais ; chacun, par son approche et sa sensibilité, nous rappelle que cet espace entre terre et eau est à protéger, si l’on veut pouvoir continuer à en jouir dans un futur proche.
En effet la Camargue, c’est surtout le delta et son fleuve et Yohanne Lamoulère nous propose d’y entreprendre un voyage entre étrange et réalisme, à la fois hors du temps et magique.
Non loin de là, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, Lumières des Saintes explore l’histoire de ce pèlerinage sur plus d’un siècle avec ses moments joyeux mais aussi ses temps tragiques. Entre matériel vernaculaire issu d’archives et grands noms de la photographie, nombreux sont les artistes à avoir fait le voyage, de Chiki Weisz à Lucien Clergue, d’Erwin Blumenfeld à Martine Franck, pour nous inciter à rêver et à revivre une partie de ce qui constitue l’histoire de la Camargue.
Marseille, terre d’arrivée et de départ, halte avant une prochaine étape, ville de passage de femmes et d’hommes venus du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. C’est de cette histoire que témoignent les archives du Studio Rex du quartier de Belsunce que Jean-Marie Donat nous permet de découvrir.
Souvenir lointain et exil.
Entre nos murs retrace une Histoire de l’Iran des années 1950 à nos jours, tandis que la présence de la diaspora iranienne sur la côte ouest américaine est rendue visible avec Soleil of Persian Square d’Hannah Darabi.
Se promener à travers l’Histoire de notre monde et de l’actualité, c’est ce que propose l’exposition célébrant les 50 ans du journal Libération à l’abbaye de Montmajour.
Photographies vernaculaires et archives, les supports sont multiples pour documenter une époque et scandent une partie de la programmation.
En 2004, deux antiquaires découvrent 340 photographies tirées sur papier et Polaroid des années 1950 et 1960 sur un marché aux puces de New York. Ces images content l’histoire d’une Amérique, celle de la Casa Susanna, celle dont on ne pouvait parler, d’une minorité qui risquait à tout moment de perdre sa place dans la société. D’une intimité secrète naissent toutes ces photographies qui ont la particularité de représenter des hommes travestis en femmes d’intérieur – telles qu’elles furent vantées par cette Amérique victorieuse de l’après-guerre. Ces images sont là afin de témoigner de l’essentialité de la photographie pour l’un des premiers réseaux de la communauté LGBTQIA+.
Une autre Amérique surgit, avec Gregory Crewdson, qui convie les techniques cinématographiques dans sa réalisation d’images d’un rêve en déliquescence, l’Amérique de la crise. C’est l’aboutissement de dix ans de travail. C’est la version noire des œuvres d’Edward Hopper, une image à la Melville et une représentation du polar qui tourne mal, tout comme dans le film l’Ami américain dont Wim Wenders nous révèle la genèse dans ses Polaroid avec Dennis Hopper et Bruno Ganz.
Kaléidoscopique, la richesse de la rétrospective de Saul Leiter nous invite, entre noir, blanc, et couleur, à une déambulation dans les rues de New York ; comme Diane Arbus, née la même année que Saul Leiter, en 1923, à travers une exposition présentée par LUMA Arles.
Tandis que, à la même époque, à la fin des années 1940, Agnès Varda revient à Sète après y avoir passé la période de l’Occupation. Elle photographie la vie locale du quartier populaire de la Pointe Courte, prémisse de La Pointe Courte, son premier long métrage réalisé quelques années plus tard avec Philippe Noiret et Silvia Montfort.
Cette année encore, l’expérimentation traverse le champ des expositions et des thématiques. Avec le scrapbook dont l’origine de la pratique anglo-saxonne mêle la tradition de l’album photo au journal intime pour prendre une forme très cinématographique, mais également par la manipulation du médium photographique de Zofia Kulik qui vient construire une nouvelle identité féminine, pleine de symboles. Aux confins de l’expédition et de l’expérience des premiers inventeurs, Roberto Huarcaya convoque dans une pratique nocturne la technique du photogramme pour jouer de nos sens dans la représentation de la forêt tropicale péruvienne, pendant que Juliette Agnel nous invite au mystère de nos origines dans les cryptoportiques, lieux antiques et magiques, investis pour la première fois cette année par le festival.
Enfin, une exposition, non moins importante dans la poursuite de la représentation de la création féminine ; elle convoque les pays nordiques et la découverte d’une scène méconnue, de l’après-guerre à l’époque contemporaine, où une réflexion sur la relation que l’État providence a entretenue avec une certaine idée de la sororité [Søsterskap] se déploie au travers des regards de 17 photographes. Cette année, c’est l’artiste finlandaise Emma Sarpaniemi, qui signe l’affiche du festival avec son autoportrait, à retrouver à l’église Sainte-Anne.
Les Rencontres d’Arles font cette année encore la part belle à l’émergence avec l’exposition Une attention particulière, réunissant l’œuvre photographique de trois étudiants de l’École nationale supérieure de la photographie, et le Prix Découverte Fondation Louis Roederer à l’église des Frères-Prêcheurs, écrin du magnifique travail sur la scène du grand Sud proposé par la commissaire Tanvi Mishra, qui nous ouvre de nouveaux horizons de Kolkata au Caire, en passant par Dhaka.
Avec Aurélie de Lanlay, et toute l’équipe du festival, nous vous attendons pour vous faire découvrir l’ensemble de la programmation, dès le 3 juillet à Arles.
Christoph Wiesner
Directeur des Rencontres d’Arles
Tel un relevé sismographique de notre temps, chaque année les Rencontres d’Arles se font l’écho de l’état de conscience de notre monde, aussi étrange qu’il puisse paraître. Les photographes, artistes et commissaires nous donnent à voir, à percevoir, avec une extrême acuité, les transformations que nous vivons. La prise en considération – a minima – du réchauffement climatique s’est imposée à nous, impactant directement nos habitudes.
Conscient de cette nécessité et de son rôle de défricheur, le festival, en collaboration avec la Cité Anthropocène de Lyon, s’est lancé cette année dans l’exploration du territoire arlésien et de son écosystème. Scientifiques, chercheurs, penseurs et artistes sont partis à sa découverte afin d’en faire un état des lieux. Choisi comme QG de cette réflexion, Ground Control, ancienne halle industrielle de la SNCF, a été au cœur de toutes les discussions ; en résulte un dispositif de reformulation de l’espace.
L’exploration du territoire peut prendre de multiples formes. Ainsi, l’exposition Soleil Gris d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier présente un corpus territorial issu du travail au long cours Atlas des Régions Naturelles. L’enquête sur la zone industrielle, autrefois fleuron de la modernité de Tarascon, menée par Mathieu Asselin au cœur de l’exposition Ici près nous en donne une tout autre vision. Il est entouré de Tanja Engelberts explorant le Rhône et de Sheng-Wen Lo jouant les arpenteurs camarguais ; chacun, par son approche et sa sensibilité, nous rappelle que cet espace entre terre et eau est à protéger, si l’on veut pouvoir continuer à en jouir dans un futur proche.
En effet la Camargue, c’est surtout le delta et son fleuve et Yohanne Lamoulère nous propose d’y entreprendre un voyage entre étrange et réalisme, à la fois hors du temps et magique.
Non loin de là, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, Lumières des Saintes explore l’histoire de ce pèlerinage sur plus d’un siècle avec ses moments joyeux mais aussi ses temps tragiques. Entre matériel vernaculaire issu d’archives et grands noms de la photographie, nombreux sont les artistes à avoir fait le voyage, de Chiki Weisz à Lucien Clergue, d’Erwin Blumenfeld à Martine Franck, pour nous inciter à rêver et à revivre une partie de ce qui constitue l’histoire de la Camargue.
Marseille, terre d’arrivée et de départ, halte avant une prochaine étape, ville de passage de femmes et d’hommes venus du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. C’est de cette histoire que témoignent les archives du Studio Rex du quartier de Belsunce que Jean-Marie Donat nous permet de découvrir.
Souvenir lointain et exil.
Entre nos murs retrace une Histoire de l’Iran des années 1950 à nos jours, tandis que la présence de la diaspora iranienne sur la côte ouest américaine est rendue visible avec Soleil of Persian Square d’Hannah Darabi.
Se promener à travers l’Histoire de notre monde et de l’actualité, c’est ce que propose l’exposition célébrant les 50 ans du journal Libération à l’abbaye de Montmajour.
Photographies vernaculaires et archives, les supports sont multiples pour documenter une époque et scandent une partie de la programmation.
En 2004, deux antiquaires découvrent 340 photographies tirées sur papier et Polaroid des années 1950 et 1960 sur un marché aux puces de New York. Ces images content l’histoire d’une Amérique, celle de la Casa Susanna, celle dont on ne pouvait parler, d’une minorité qui risquait à tout moment de perdre sa place dans la société. D’une intimité secrète naissent toutes ces photographies qui ont la particularité de représenter des hommes travestis en femmes d’intérieur – telles qu’elles furent vantées par cette Amérique victorieuse de l’après-guerre. Ces images sont là afin de témoigner de l’essentialité de la photographie pour l’un des premiers réseaux de la communauté LGBTQIA+.
Une autre Amérique surgit, avec Gregory Crewdson, qui convie les techniques cinématographiques dans sa réalisation d’images d’un rêve en déliquescence, l’Amérique de la crise. C’est l’aboutissement de dix ans de travail. C’est la version noire des œuvres d’Edward Hopper, une image à la Melville et une représentation du polar qui tourne mal, tout comme dans le film l’Ami américain dont Wim Wenders nous révèle la genèse dans ses Polaroid avec Dennis Hopper et Bruno Ganz.
Kaléidoscopique, la richesse de la rétrospective de Saul Leiter nous invite, entre noir, blanc, et couleur, à une déambulation dans les rues de New York ; comme Diane Arbus, née la même année que Saul Leiter, en 1923, à travers une exposition présentée par LUMA Arles.
Tandis que, à la même époque, à la fin des années 1940, Agnès Varda revient à Sète après y avoir passé la période de l’Occupation. Elle photographie la vie locale du quartier populaire de la Pointe Courte, prémisse de La Pointe Courte, son premier long métrage réalisé quelques années plus tard avec Philippe Noiret et Silvia Montfort.
Cette année encore, l’expérimentation traverse le champ des expositions et des thématiques. Avec le scrapbook dont l’origine de la pratique anglo-saxonne mêle la tradition de l’album photo au journal intime pour prendre une forme très cinématographique, mais également par la manipulation du médium photographique de Zofia Kulik qui vient construire une nouvelle identité féminine, pleine de symboles. Aux confins de l’expédition et de l’expérience des premiers inventeurs, Roberto Huarcaya convoque dans une pratique nocturne la technique du photogramme pour jouer de nos sens dans la représentation de la forêt tropicale péruvienne, pendant que Juliette Agnel nous invite au mystère de nos origines dans les cryptoportiques, lieux antiques et magiques, investis pour la première fois cette année par le festival.
Enfin, une exposition, non moins importante dans la poursuite de la représentation de la création féminine ; elle convoque les pays nordiques et la découverte d’une scène méconnue, de l’après-guerre à l’époque contemporaine, où une réflexion sur la relation que l’État providence a entretenue avec une certaine idée de la sororité [Søsterskap] se déploie au travers des regards de 17 photographes. Cette année, c’est l’artiste finlandaise Emma Sarpaniemi, qui signe l’affiche du festival avec son autoportrait, à retrouver à l’église Sainte-Anne.
Les Rencontres d’Arles font cette année encore la part belle à l’émergence avec l’exposition Une attention particulière, réunissant l’œuvre photographique de trois étudiants de l’École nationale supérieure de la photographie, et le Prix Découverte Fondation Louis Roederer à l’église des Frères-Prêcheurs, écrin du magnifique travail sur la scène du grand Sud proposé par la commissaire Tanvi Mishra, qui nous ouvre de nouveaux horizons de Kolkata au Caire, en passant par Dhaka.
Avec Aurélie de Lanlay, et toute l’équipe du festival, nous vous attendons pour vous faire découvrir l’ensemble de la programmation, dès le 3 juillet à Arles.